Location VTC : enquête sur un système qui broie les chauffeurs (Flexifleet, Clicar et les autres)

Location VTC : enquête sur un système qui broie les chauffeurs (Flexifleet, Clicar et les autres)

Depuis des mois, cette enquête plonge au cœur de l’arnaque à la location VTC. Un système promet aux chauffeurs l’indépendance et la réussite. Il promet aussi la propriété de leur véhicule. Mais il les mène souvent au surendettement. Les chauffeurs subissent la saisie de leur voiture. Certains finissent en garde à vue. Derrière les plateformes et les showrooms de loueurs comme Flexifleet ou Clicar, un même schéma se dessine. Prix excessifs, contrats opaques, pression judiciaire. Ce modèle capte la valeur du travail des chauffeurs. Il leur laisse l’intégralité du risque.

Arnaque location VTC : un modèle fondé sur la dépendance des chauffeurs

Au fil des entretiens avec des chauffeurs et de l’analyse de documents, une réalité s’impose. L’écosystème VTC repose sur des montages complexes. Plateforme, loueur et chauffeur sont interdépendants. Les chauffeurs sont présentés comme indépendants. Mais ils dépendent d’un véhicule imposé par un loueur partenaire. Une plateforme contrôle l’accès aux clients et les tarifs. Elle décide parfois même des sanctions.

Un système de dépendance structuré

En effet, La Cour de cassation a examiné le cas Voxtur, partenaire de LeCab. Elle a relevé plusieurs points. L’interdépendance des contrats de location et d’adhésion à la plateforme. L’absence de libre choix réel du véhicule. Un contrôle étroit de l’activité via l’outil numérique. La requalification en contrat de travail n’a pas toujours abouti. Mais ces décisions décrivent une dépendance économique extrême.

Arnaque à la location VTC : un scénario qui se répète

L’arnaque dénoncée suit un scénario récurrent. Un conducteur en difficulté ou en reconversion signe avec un loueur partenaire. Il accède rapidement à un véhicule éligible VTC. Le discours commercial promet une voiture récente. Un loyer tout compris. Et surtout, la perspective d’en devenir propriétaire au bout de quelques années.

En réalité, les contrats sont souvent des locations longue durée (LLD). Ou des montages hybrides sans garantie de propriété. En fin de contrat, le chauffeur doit rendre le véhicule. Ou payer une forte indemnité. Cette découverte arrive souvent trop tard. Sur trois ans, les loyers cumulés dépassent largement la valeur du véhicule. Le chauffeur supporte le coût de la voiture et le risque. Sans en devenir propriétaire.

Flexifleet : le cas emblématique d’une « arnaque à la location »

L’affaire Flexifleet est devenue un symbole. Dans un reportage commenté, un ancien client explique sa mésaventure. Il a versé près de 49 000 euros. Il pensait acheter son véhicule. Puis il a découvert qu’il restait simple locataire. Sa voiture a été récupérée lorsqu’il a refusé de payer davantage.

Ainsi, L’inter-syndicale des VTC a déposé plainte. Elle est assistée d’un cabinet d’avocats. Les chefs d’accusation : escroquerie, abus de confiance, pratiques trompeuses. Les chauffeurs auraient été induits en erreur. Sur la nature des contrats et la propriété du véhicule. Flexifleet se défend. L’entreprise affirme que les conditions sont claires. La propriété n’est jamais garantie. Le fossé est immense entre le discours commercial et l’interprétation juridique.

La pression judiciaire : gardes à vue et plaintes pénales

Témoignage d’un chauffeur victime : « J’ai payé pendant 3 ans, je pensais que la voiture serait à moi. Au final, ils m’ont dit que je devais encore payer 15 000€ si je voulais la garder. Sinon, ils reprennent tout et je repars avec rien. J’ai travaillé 70 heures par semaine pour rien. »

L’enquête révèle un aspect choquant. L’usage de la pression judiciaire pour récupérer les véhicules. Des chauffeurs racontent avoir été convoqués. Certains placés en garde à vue. Les loueurs déposent des plaintes pour abus de confiance. Le motif : conservation du véhicule après fin de contrat. Ou impayés de loyers.

Des vidéos largement relayées sur les réseaux sociaux montrent des récupérations de véhicules vécues comme des opérations de force, parfois avec des menaces explicites de procédures pénales. Pour des travailleurs déjà précarisés, cette judiciarisation agressive d’un conflit essentiellement commercial ajoute une couche de violence symbolique et psychologique, transformant un litige contractuel en quasi-accusation de délinquance.

Clicar : le « leader écologique » au cœur des critiques

Clicar, qui se présente comme un leader de la location de véhicules hybrides et électriques pour VTC et taxis à Paris, incarne une autre facette du même modèle. Sur son site officiel, l’entreprise met en avant des offres spécialement conçues pour les chauffeurs professionnels, avec des véhicules comme Mercedes Classe C ou Classe E 300e, loués à la semaine à des tarifs élevés pour des contrats parfois de longue durée.

Cependant, dDerrière cette vitrine « verte » et professionnelle, les avis publics et retours de terrain que cette enquête a pu consulter dressent un tableau beaucoup plus contrasté : certains chauffeurs dénoncent des « mensonges », des conditions ressenties comme abusives, une gestion difficile des pannes et un service après-vente jugé défaillant. Les bases de données de contentieux montrent que la société CLICAR apparaît dans plusieurs procédures judiciaires récentes, confirmant l’existence de litiges répétés, même si tous ne concernent pas des chauffeurs pris individuellement.

Des prix excessifs qui captent toute la valeur du travail

L’un des constats les plus constants de cette enquête concerne le niveau des loyers et des frais à la charge des chauffeurs VTC. Entre les premiers loyers majorés, les mensualités ou hebdomadaires, les assurances obligatoires, les frais de dossier et les pénalités diverses, le coût total d’un véhicule peut atteindre des montants largement supérieurs à sa valeur réelle, sans transfert de propriété garanti.

En effet, Dans ce modèle, le véhicule devient un outil de captation du travail du chauffeur : chaque heure passée sur la route sert d’abord à payer le loueur et la plateforme, avant de produire un réel revenu pour le conducteur. Les chauffeurs interrogés parlent de semaines à 50, 60 ou 70 heures pour simplement « payer la voiture », avec une marge extrêmement réduite pour vivre, se loger, cotiser et envisager l’avenir.

La bataille juridique sur le statut des chauffeurs VTC

En effet,Parallèlement aux litiges contractuels avec les loueurs, la bataille se joue aussi sur le terrain du droit du travail. Plusieurs décisions ont déjà requalifié la relation entre certains chauffeurs VTC et des plateformes en véritable contrat de travail, en raison de la présence d’indices de subordination : contrôle des horaires, sanctions unilatérales, impossibilité réelle de construire sa propre clientèle, obligation de suivre des directives précises.

Par ailleurs, dDes spécialistes du droit social soulignent que ces requalifications mettent à nu un paradoxe : des chauffeurs officiellement « indépendants » qui cumulent en réalité les contraintes du salariat (contrôle, sanctions, dépendance économique) et les risques de l’entrepreneur (investissement, loyers, charges). La présence de loueurs puissants comme Flexifleet ou Clicar dans la chaîne renforce encore cet effet de ciseau, en ajoutant une couche de dépendance financière et contractuelle.

La riposte des chauffeurs : collectifs, justice et réseaux sociaux

Pourtant, fFace à ce système, les chauffeurs VTC commencent à s’organiser. Des structures comme VTCJustice et divers collectifs régionaux accompagnent les conducteurs devant les tribunaux, contestent les clauses abusives, attaquent en justice certaines pratiques commerciales et soutiennent les demandes de requalification en contrat de travail.

De plus, sSur TikTok, YouTube, Instagram et Facebook, de plus en plus de chauffeurs prennent la parole, citent les noms des sociétés de location et des plateformes, racontent leurs histoires de véhicules saisis, de contrats incompris et de gardes à vue. Ces témoignages publics, malgré le risque de poursuites en diffamation, deviennent un outil essentiel pour briser le silence et avertir les nouveaux entrants des pièges qui les attendent.

Un système qui organise la mise à nu économique des chauffeurs

Au terme de cette enquête, une vérité dérangeante apparaît : ce n’est pas seulement une série d’arnaques isolées, mais un modèle économique structuré qui organise la captation de la valeur créée par les chauffeurs VTC. Entre loyers abusifs, clauses piégeuses, dépendance aux plateformes et pression judiciaire, tout est conçu pour que le risque repose sur le chauffeur, tandis que la rente revient aux loueurs et aux plateformes.

Cette réalité pose une question politique et sociale majeure : jusqu’à où peut-on tolérer un système qui, sous couvert de modernité numérique et de verdissement des flottes, transforme des milliers de travailleurs en variables d’ajustement économique, sans droits collectifs réels ni sécurité juridique minimale ? Tant que les pouvoirs publics, les juges et l’opinion laisseront prospérer ce modèle, d’autres chauffeurs continueront à se retrouver ruinés, fichés, et privés de leur outil de travail au terme de contrats qu’ils n’avaient, en réalité, jamais les moyens de comprendre pleinement.

chelabi vincent

Coordinateur national syndicat VTC Union Indépendants